L’art et la culture n’exemptent pas le respect des règles de la commande publique, comme le rappelle l’affaire de la Fête de Tuiles à Grenoble.
En 2015 et 2016, les marchés relatifs à cette fête n’ont pas été précédés des mesures de publicité et de mise en concurrence. Cette absence a entraîné des conséquences importantes. En effet, pour ce motif, le maire de Grenoble et le titulaire des marchés en question sont actuellement accusés de délit de favoritisme et vont être jugés par les juridictions pénales fin 2022. Le tribunal correctionnel jugera s’il y a effectivement eu délit de favoritisme.
S’il est vrai qu’en raison de l’exception artistique, certains contrats dans le domaine de la culture et de l’art pourraient être dispensés de mesure de publicité et de mise en concurrence, il n’en reste pas moins que l’exception artistique est à manier avec beaucoup de précaution comme rappelé par cette affaire. Par ailleurs, l’exception artistique n’est pas forcément utile à invoquer dès lors que les contrats dans le domaine de la culture et de l’art peuvent être conclus via des procédures de publicité et de mise en concurrences allégées, comme expliqué ci-après.
- Conclure un marché relatif à l’organisation d’événements culturels ou d’un festival sans mesure de publicité ni mise en concurrence expose à des risques importants
- 1 Le régime de l’exception artistique peut être utilisé dans des très rares cas
La possibilité de passer un marché sans publicité, ni mise en concurrence préalables est possible dans certains cas aux termes de l’article L. 2122-1 du code de la commande publique, dont celui de « l’exception artistique ».
L’article R. 2122-3 du code de la commande publique prévoit en effet que « L’acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsque les travaux, fournitures ou services ne peuvent être fournis que par un opérateur économique déterminé, pour l’une des raisons suivantes : 1° Le marché a pour objet la création ou l’acquisition d’une œuvre d’art ou d’une performance artistique unique… ».
Ces conditions sont entendues très restrictivement par le juge administratif, comme le souligne la direction des affaires juridiques sur le site internet du Ministère de l’Economie.
Il appartient en effet à l’acheteur de justifier que le choix d’un prestataire relève de « raisons artistiques particulières » et que les prestations artistiques n’auraient pu être exécutées par d’autres opérateurs avec des compétences et des moyens techniques ou artistiques équivalents pour des résultats comparables.
Ainsi, le recours à un marché sans publicité ni mise en concurrence n’a pas été considéré comme justifié sur ces fondements :
- Lorsque l’acheteur confiait à des associations l’organisation et la direction artistique d’un festival départemental sans établir en quoi ces prestations n’auraient pas pu être exécutées par d’autres organismes ;
- Lorsque l’acheteur n’a pu exciper de raisons artistiques particulières qui auraient justifié que la commande d’une sculpture monumentale devant être implantée sur le domaine public soit confiée exclusivement à un artiste ;
- Lorsque l’acheteur n’a pu établir que, même si la fontaine commandée, du fait de son caractère original, exigeait de la part des constructeurs des compétences particulières et un talent artistique, le tailleur de pierre choisi était le seul à pouvoir réaliser cette sculpture.
Par conséquent, il ne suffit pas de prouver que le titulaire est notoirement reconnu dans son domaine de spécialité, il faut également prouver qu’il est le seul à pouvoir réaliser l’œuvre demandé pour pouvoir utiliser l’exception artistique.
1.2 L’utilisation irrégulière du régime de l’exception artistique comporte des risques importants
- Trois risques juridiques
- Le risque qu’un tiers ayant intérêt à agir, un élu de l’organe délibérant du pouvoir adjudicateur, ou le préfet saisisse le juge pour faire annuler le contrat, soit par le biais d’une procédure d’urgence avant la signature du contrat ou d’un recours au fond après la signature du contrat ;
- risque que la chambre régionale des comptes lors de l’examen des comptes du pouvoir adjudicateur estime que cette procédure est irrégulière et le fasse savoir dans ses observations rendues publiques ;
- risque pénal pour délit de favoritisme. Ce délit défini à l’article 432-14 du code pénal sanctionne le fait d’octroyer un avantage injustifié à une tierce personne dans le cadre de la passation d’un marché public. Le défaut de publicité et de mise en concurrence constitue toujours un délit de favoritisme. Soulignons que les personnes attributaires de contrats passés avec favoritisme peuvent être également poursuivies pour recel du délit de favoritisme ou pour complicité.
1.2.2. Ces risques juridiques ont une forte probabilité de réalisation
Un exemple topique et récent est celui précité des marchés relatifs à l’organisation de la Fête des Tuiles de la Ville de Grenoble.
La Ville avait passé des marchés à hauteur de 300 000 euros pour la conception et la mise en œuvre de la fête des Tuiles de 2015 et 2016 sans mesure de publicité et de mise en concurrence, en se prévalant du régime de l’exception artistique
Dans son rapport sur les comptes de la Ville, la chambre régionale des compte (CRC) Auvergne-Rhône-Alpes a estimé que l’invocation de l’exception artistique n’était pas possible au regard de plusieurs éléments dont le fait que le spectacle avait été créé à l’occasion de l’événement par le titulaire du marché, que le titulaire du marché avait répondu à un besoin exprimé par la commune comme le prouvait la conclusion des marchés d’étude avant la réalisation du spectacle et qu’il n’était donc pas à l’initiative du projet.
Le maire et plusieurs responsables de l’association bénéficiaire du marché font actuellement l’objet d’une poursuite pénale pour délit et recel de délit de favoritisme.
Le risque concerne donc aussi bien le pouvoir adjudicateur que le titulaire du contrat.
- Une solution sûre juridiquement consiste à conclure un marché à l’issue d’une procédure de concurrence allégée et comportant une procédure de négociation
Les marchés à procédure adaptée dits MAPA sont des marchés conclus à l’issue d’une procédure de publicité et de mise en concurrence allégée.
Le 3° de l’article R. 2123-1 du code de la commande publique prévoit que cette procédure est applicable aux marchés « ayant pour objet des services sociaux et autres services spécifiques, dont la liste figure dans un avis annexé au présent code, quelle que soit la valeur estimée du besoin ».
Parmi la liste des services concernés figurent notamment :
– les « services récréatifs, culturels et religieux » ;
– les « services d’organisation d’exposition, de foires, de congrès, de séminaires, d’événements, de festivals, de fêtes, de défilés de mode » ;
– les « services récréatifs, culturels et sportifs ».
Cette liste permet d’inclure les spectacles relatifs à des évènements culturels.
Procédure « adaptée » signifie que la publicité doit être adaptée au montant du marché et à la nature des prestations commandées. Par exemple, la publicité pour un marché de programmation de l’implantation à Lens d’une antenne du musée du Louvre, bien que d’un faible montant de 35 000 euros, ne pouvait pas n’être faite que dans un journal local alors qu’étaient exigées des références « récentes en matière de conception et de programmation de grands musée ».
En conclusion, dans le cas des marchés relatifs à l’organisation de festival, de création de spectacle ou d’événements culturels, il est préférable de ne pas chercher à faire jouer l’exception artistiques au regard des risques juridique importants, notamment pénaux, encourus. Cela paraît d’autant moins nécessaire que ces marchés peuvent être issus d’une procédure adaptée qui offrent une plus grande souplesse aux pouvoirs adjudicateurs.
La passation et la conclusion des contrats dans le domaine de la culture et de l’art nécessite une connaissance fine des règles de la commande publique.
Nous disposons justement d’une expérience dans ce domaine et nous serons ravie de la mettre à votre disposition pour vous permettre de mener à bien vos projets.