Nouvelle utilisation du « référé pénal environnemental » : un point sur le dispositif de l’article L 216-13 du Code de l’environnement
Publié le 27 Oct 2022
Par Louise Dumont Saint Priest
pollution de l'air, droit de l'environnement, justice climatique

Depuis la diffusion de l’émission « Vert de rage » le 12 mai 2022 et la révélation de la présence de substances chimiques (PFAS) dans les eaux, les sols et l’air de la « Vallée de la chimie », aux alentours de Lyon, les pouvoirs publics et les associations se sont particulièrement mobilisés. 

Pour rappel, les PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées) sont des substances dont les propriétés résistantes sont utilisées dans de nombreux produits de la vie courante (vêtements, mousses, emballages alimentaires). La toxicité de ces composés chimique est multiple selon l’ANSSA : ils peuvent provoquer des cancers, augmenter le taux de cholestérol et avoir des effets sur la fertilité et le développement du fœtus. Ils sont également suspectés d’agir sur le système endocrinien et immunitaire.

Le 1er juin dernier, l’association Notre affaire à tous annonçait avoir introduit une action contre deux entreprises, Arkema France et Elkem Silicones France, spécialisées dans la fabrication de matériaux à base de silicones et de produits chimiques et soupçonnées d’être à l’origine des substances retrouvées.

L’association examinait déjà depuis plusieurs années les rapports émis par la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), chargée de mettre en œuvre et de coordonner les politiques des ministères de la Transition écologique et solidaire et de la Cohésion des territoires et à ce titre, de contrôler l’activité des installations classées.

Il ressortait de ces différents rapports qu’entre 2017 et 2021, plus d’une centaine de non-conformités avaient été constatées à l’encontre des deux entreprises, tandis que la société Arkema France faisait plus particulièrement l’objet d’arrêtés préfectoraux de mise en demeure, de mise en sécurité d’urgence et de mesures conservatoires. 

Cette action de l’association se fondait notamment sur l’article L216-13 du Code pénal, qu’il est possible de qualifier de référé pénal environnemental. Cette affaire est ainsi l’occasion de revenir sur ce dispositif encore trop peu utilisé. 

Ce référé en matière de droit pénal environnemental, pourtant ancien, est issu de l’article 30 de la loi du 3 janvier 1992 sur l’eau, qui prévoyait que le Juge d’instruction, le Tribunal correctionnel ou le ministère public, agissant sur requête d’une autorité administrative ou d’une association, pouvaient ordonner toute mesure utile, y compris l’interdiction d’exploiter l’ouvrage ou l’installation en cause. 

Cette voie d’action pouvait être mise en œuvre uniquement en cas de non-respect des dispositions prévues aux articles 8, 9, 10 de cette même loi, relatifs à la protection des eaux superficielles et souterraines, ainsi qu’en cas de non-respect des dispositions relatives aux installations classées.

Ce dispositif juridique était ensuite inscrit dans le Code de l’environnement en 2000 ; avant d’être modifié en 2013. 

Dorénavant, les mesures utiles sont prononcées par le Juge des libertés et de la détention, sur requête du procureur de la République agissant d’office, à la demande de l’autorité administrative, de la victime ou d’une association agréée de protection de l’environnement.

Le champ d’application du référé pénal environnemental a été élargi par différentes lois successives et il est aujourd’hui inscrit à l’article L216-13 du Code de l’environnement. Les mesures utiles peuvent désormais être prononcées pour une durée d’un an, en cas de non-respect des prescriptions relatives aux autorisations environnementales, à la préservation des eaux superficielles, souterraines et des eaux de mer, ainsi qu’à la recherche et l’exploitation d’hydrocarbures.

Ces mesures sont exécutoires par provision et peuvent comprendre la suspension ou l’interdiction des opérations menées en infraction à la loi pénale.

La première ordonnance fondée sur cet article était prononcée le 5 septembre 2018 par le Juge des Libertés et de la Détention du TGI de Lyon, sur requête du ministère public saisi par la Fédération de Pêche du Rhône. Celle-ci dénonçait la pollution de la rivière Brévenne, sous affluent du Rhône, par une station d’épuration confiée par le syndicat intercommunal des Rossandes (SIVU) à la société Suez Eau France.

Le juge des libertés et de la détention avait constaté la pollution de la rivière et ordonné à Suez Eau et au syndicat, de cesser tout rejet dans le milieu aquatique dépassant les seuils légaux, et ce pour une durée de six mois. 

La société Suez Eau et le syndicat avaient alors interjeté appel de cette décision. 

Par un arrêt du 9 novembre 2018, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Lyon infirmait cette ordonnance.

Elle constatait d’une part que l’auteur de la pollution apparaissait comme étant une société tierce qui n’était pas visée dans la requête du procureur de la République et d’autre part, elle déduisait de l’insertion de l’article L216-13 au sein de la sous-section 2, « sanctions pénales », du chapitre VI du Code de l’environnement, que l’intervention du juge des libertés et de la détention était subordonnée au constat d’une faute pénale.

La Cour d’appel de Lyon constatait en l’espèce qu’il n’y avait eu qu’une « anomalie » qui ne pouvait suffire à caractériser une faute de nature à engager la responsabilité pénale de la SAS Suez Eau France et/ou du syndicat et que le TGI n’avait pas recherché si ces derniers avaient accompli les diligences normales compte tenu de la nature de leurs missions ou de leurs fonctions, de leurs compétences et des moyens dont ils disposaient.

La Fédération de Pêche du Rhône introduisait un pourvoi en cassation.

A cette occasion, la Cour de cassation rejetait l’argumentation de la chambre de l’instruction exigeant la démonstration préalable d’une infraction pénale imputable aux personnes visées dans l’ordonnance, le non-respect d’une prescription visée par l’article L216-13 étant suffisant. 

Elle cassait ainsi l’arrêt de la chambre de l’instruction au motif que « l’article L. 216-13 du code de l’environnement ne subordonne pas à la caractérisation d’une faute de la personne concernée de nature à engager sa responsabilité pénale le prononcé par le juge des libertés et de la détention, lors d’une enquête pénale, de mesures conservatoires destinées à mettre un terme à une pollution ou à en limiter les effets dans un but de préservation de l’environnement et de sécurité sanitaire »

La Cour de cassation jugeait ainsi que les mesures conservatoires prononcées par le Juge des libertés et de la détention, destinées à mettre un terme à la pollution ou à en limiter les effets, n’étaient pas subordonnées à la caractérisation d’une faute susceptible d’engager la responsabilité pénale des personnes concernées.

Cette décision de la Cour de cassation permet ainsi de diriger un référé pénal environnemental y compris contre un individu n’ayant pas commis de faute pénale. 

Cette interprétation est une bonne nouvelle pour la justice environnementale puisque ce « référé pénal environnemental » permet de prendre des mesures permettant de faire cesser au plus vite un trouble à l’environnement, sans la nécessaire démonstration de la commission d’une faute pénale, nécessitant une enquête souvent longue.

Notons cependant que cet arrêt semble aller dans un autre sens que celui initialement donné par le gouvernement. En effet, le ministre de la Transition écologique et solidaire le 21 mai 2019 avait indiqué, en réponse à une question posée par un député sur ce point « s’agissant de l’exercice de la police judiciaire, l’intervention du juge des libertés et de la détention au titre des articles L. 216-13 et L. 415-3 du code de l’environnement n’est possible que dans le cas d’une infraction pénale dûment constatée par un procès-verbal ».

Il reviendra donc à la jurisprudence de continuer à préciser les contours de ce référé pénal environnemental, particulièrement utile.