Par une décision du 2 décembre 2022, très attendue, le Conseil d’Etat a précisé que les baux relatifs à des biens appartenant au domaine privé des personnes publiques pouvaient être conclus sans mesures de publicité et de mise en concurrence préalables. Cette décision permet de lever les hésitations sur ce sujet et va dans le sens d’une liberté encore plus grande de la gestion du domaine privé des personnes publiques.
Il est vrai que la gestion du domaine privé donne aux personnes publiques des outils précieux pour valoriser leur patrimoine et concrétiser leur politique d’aménagement du territoire et ne doit donc pas être négligée. Cette gestion doit se faire dans le respect des principes de droit public applicables, parmi lequel l’interdiction de libéralité des personnes publiques.
- Quels biens appartiennent au domaine public et quels biens appartiennent au domaine privé des personnes publiques ?
Les biens du domaine public sont les biens répondant aux deux conditions cumulatives suivantes ( Article L. 2111-1 du CG3P):
- appartenant exclusivement à une personne publique
- et qui sont soit affectés à l’usage direct du public ; soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public.
Certains biens font également partie du domaine public par détermination de la loi : domaine public maritime (articles L2111-4 à L2111-6 du CG3P), fluvial (Articles L2111-7 à L2111-13 du CG3P), aéronautique (Article L2111-16 du CG3P) routier (Article L2111-14 du CG3P) et ferroviaire (Article L2111-15 du CG3P).
A contrario, les biens n’appartenant pas au domaine public relèvent du domaine privé (Article L. 2211-1 du CG3P). Par ailleurs, le législateur a défini quatre catégories de biens appartenant au domaine privé : d’une part, les réserves foncières, les biens immobiliers à usage de bureau qui ne forment pas un bien indivisible avec ceux relevant du domaine public (Article L. 2211-1 du CG3P) et d’autre part, les chemins ruraux, et les bois et forêts soumis au régime forestier (Article L. 2212-1 du CG3P).
- Existe-t-il une obligation de publicité et de mise en concurrence avant la cession ou la location d’un bien du domaine privé d’une personne publique ?
Les personnes publiques gèrent librement leur domaine privé selon les règles qui leur sont applicables (article L. 2222-1 du CG3P).
Il n’est pas nécessaire d’initier une mise en concurrence préalable pour la vente d’un bien du domaine privé, ce qui n’empêche toutefois pas les personnes publiques d’en organiser si elle le souhaite (CE, 27 mars 2017, Sociétés Procedim et Sinfimmon, n°390347). Par exception, les immeubles appartenant au domaine privé de l’Etat font l’objet de mesures de publicité et de mise en concurrence préalables (article R. 129 et suivants du code du domaine de l’Etat).
Par sa décision du 2 décembre 2022, le Conseil d’Etat a précisé que les baux conclus sur le domaine privé des personnes publiques n’avaient pas à être précédés de mesures de publicité et de mise en concurrence (CE, 2 décembre 2022, Ns°455033 et 460100). En l’espèce, il s’agissait d’un bail emphytéotique, mais la solution vaut pour tous les baux privés, comme précisé par Mme Cécile RAQUIN, Rapporteure publique, dans ses conclusions sur cette décision.
- A quelles conditions peut être cédé ou loué un bien appartenant au domaine privé des personnes publiques ?
Les personnes publiques sont soumises au principe d’interdiction de consentir à des libéralités.
Ainsi, si elles peuvent céder les biens du domaine privé à une somme inférieure à leur valeur vénale, c’est uniquement aux termes de la jurisprudence en présence des deux conditions suivantes : un motif d’intérêt général et des contreparties suffisantes (CE, 3 nov. 1997, Commune de Fougerolles, n°169473).
Pour la première condition, constituent des motifs d’intérêt général :
- L’installation de jeunes ménages sur le territoire de la commune, afin de la revitaliser par une augmentation et un rajeunissement de la population sédentaire (TA de Nantes, 28 avr. 1998, n°974256) ;
- La favorisation, par l’association acheteuse, de l’insertion d’habitants d’origine étrangère au sein de la commune par la création d’activités collectives (CE, 25 nov. 2009, Commune de Mer, n°310208) ;
- Le renforcement de la sécurité publique notamment pour la circulation en centre-ville (CE, 25 nov. 2009, Commune de Mer, n°310208) ;
- La volonté de permettre à des gens du voyage d’être logés décemment (CE, 14 oct. 2015, n°375577).
S’agissant de la seconde condition, la simple existence de contreparties ne suffit pas. Une contrepartie est définie comme les « avantages que, eu égard à l’ensemble des intérêts publics dont la collectivité cédante a la charge, elle est susceptible de lui procurer, et de s’assurer, en tenant compte de la nature des contreparties et, le cas échéant, des obligations mises à la charge des cessionnaires, de leur effectivité ». Il est nécessaire que ces contreparties soient suffisantes pour justifier la différence entre le prix de vente et la valeur du bien cédé (CE, 14 oct. 2015, n°375577).
A titre d’exemples, constitue une contrepartie suffisante justifiant la cession d’un terrain à un euro symbolique l’engagement par l’entreprise de créer cinq emplois, dans un délai de trois ans, et en cas d’inexécution, l’obligation de rembourser le prix du terrain cédé tel qu’il a été évalué par le service des domaines (CE, 3 nov. 1997, Commune de Fougerolles, n°169473). En revanche, tel n’est pas le cas de l’engagement de l’acquéreur de créer, dans un délai de deux ans, deux emplois de nature indéterminée dans l’établissement devant être édifié sur ce terrain (CAA de Bordeaux, 8 nov. 2005, n°02BX00744).
Toujours par application du principe d’interdiction des libéralités, une personne publique « ne peut légalement louer un bien à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé pour un loyer inférieur à la valeur locative de ce bien, sauf si cette location est justifiée par des motifs d’intérêt général et comporte des contreparties suffisantes » (CE, 28 sept. 2021, CCAS de Pauillac, n°431625). Ne constitue pas un motif d’intérêt général la volonté de « favoriser l’installation d’un masseur-kinésithérapeute dans la commune de Pauillac alors que cette dernière ne fait pas partie des zones, déterminées par le directeur général de l’agence régionale de santé, que caractérise une offre insuffisante de soins pour cette profession » (CE, 28 sept. 2021, CCAS de Pauillac, n°431625).
- Quelles règles sont applicables aux baux conclus sur des biens appartenant au domaine privé ?
Dans la plupart des cas, les baux passés par des personnes publiques sur des biens privés constituent des contrats de droit privé, assujettis aux règles de droit privé. Ces règles sont différentes de celles applicables aux contrats administratifs et peuvent parfois ne pas être suffisamment prises en compte par les personnes publiques lorsqu’elles gèrent leur domaine privé. Par exemple, les possibilités de modification des loyers en cas de baux commerciaux sont restreintes et obéissent à des règles très précises. Si ces règles ne sont pas respectées dans les délais requis, il n’est pas possible de modifier des montants et ce pour des durées parfois assez longues.
En conclusion, même si une personne publique reste libre de gérer son domaine privé comme elle le souhaite et n’a pas à faire précéder de mesures de publicité et de mise en concurrence les cessions ou les baux des biens de son domaine privé, elle doit rester attentive à ne pas sous-estimer la valeur vénale de ses biens. La création d’emploi ou la redynamisation d’un quartier peuvent ne pas suffire pour justifier des prix avantageux accordés à des entrepreneurs, s’ils ne sont assortis de contreparties suffisantes. En tout état de cause, la personne publique doit veiller au respect des règles de droit privé.